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Extrait de la publication
Patrick Modiano
Dora Bruder
Gallimard
Extrait de la publication
© Éditions Gallimard, 1997.
© Éditions Gallimard, 1999, pour la présente édition.
Extrait de la publication
Il y a huit ans, dans un vieux journal, ParisSoir, qui datait du 31 décembre 1941, je suis tombé à la page trois sur une rubrique : « D’hier à aujourd’hui ». Au bas de celle-ci, j’ai lu :
« PARIS
On recherche une jeune fille, Dora Bruder,
15 ans, 1 m 55, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, pull-over bordeaux, jupe et chapeau bleu marine, chaussures sport marron.
Adresser toutes indications à M. et Mme Bruder,
41 boulevard Ornano, Paris. »
Ce quartier du boulevard Ornano, je le connais depuis longtemps. Dans mon enfance, j’accompagnais ma mère au marché aux Puces de Saint-Ouen. Nous descendions de l’autobus à la porte de Clignancourt et quelquefois devant
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la mairie du XVIIIe arrondissement. C’était toujours le samedi ou le dimanche après-midi.
En hiver, sur le trottoir de l’avenue, le long de la caserne Clignancourt, dans le flot des passants, se tenait, avec son appareil à trépied, le gros photographe au nez grumeleux et aux lunettes rondes qui proposait une « photo souvenir ». L’été, il se postait sur les planches de
Deauville, devant le bar du Soleil. Il y trouvait des clients. Mais là, porte de Clignancourt, les passants ne semblaient pas vouloir se faire photographier. Il portait un vieux pardessus et l’une de ses chaussures était trouée.
Je me souviens du boulevard Barbès et du boulevard Ornano déserts, un dimanche aprèsmidi de soleil, en mai 1958. À chaque carrefour, des groupes de gardes mobiles, à cause des événements d’Algérie.
J’étais dans ce quartier l’hiver 1965. J’avais une amie qui habitait rue Championnet. Ornano 4920.
Déjà, à l’époque, le flot des passants du dimanche, le long de la caserne, avait dû emporter le gros photographe, mais je ne suis jamais allé vérifier. À quoi avait-elle servi, cette