Happy meal
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- Presque toujours.
Petite grimace.
J'allonge mes jambes dans l'allée. Je ne sais pas par quoi commencer. J'ai déjà envie de fumer. 45 Je n'aime rien de tous ces machins emballés. Un garçon au crâne rasé est interpellé par deux braillards, je replie mes jambes pour laisser passer ce morveux.
J'ai un moment de doute. Que fais-je ici ? Avec mon immense amour et ma pochette turquoise. J'ai ce réflexe imbécile de chercher un couteau et une fourchette. Elle me dit :
50 - Tu n'es pas heureux?
- Si, si.
- Alors mange!
Je m'exécute7. Elle ouvre délicatement sa boîte de nuggets comme s'il s'était agi d'un coffret à bijoux. Je regarde ses mains. Elle a mis du vernis violet nacré sur ses ongles. Couleur aile de libellule. Je dis ça, je n'y
55 connais rien en couleur de vernis, mais il se trouve qu'elle a deux petites libellules dans les cheveux. Minuscules barrettes inutiles qui n'arrivent pas à retenir quelques mèches blondes. Je suis ému. Je sais, je radote8, mais je ne peux m'empêcher de penser : « Est-ce pour moi, en pensant à ce déjeuner, qu'elle s'est fait les ongles ce matin ? »
Je l'imagine, concentrée dans la salle de bains, rêvant déjà à son sundae caramel... Et à moi, un petit peu, fatalement. 60 Elle trempe ses morceaux de poulet décongelés dans leur sauce chimique. Elle se régale.
- Tu aimes vraiment ça ?
- Vraiment.
- Mais pourquoi?
Sourire triomphal.
65 - Parce que c'est bon.
Elle me fait sentir que je suis un ringard, ça se voit dans ses yeux. Mais du moins le fait-elle tendrement.
Pourvu que ça dure, sa tendresse. Pourvu que ça dure.
Je l'accompagne donc. Je mastique et déglutis9 à son rythme.Elle ne me parle pas beaucoup mais j'ai l'habitude, elle ne me parle jamais beaucoup quand je remmène déjeuner: elle est bien trop occupée à regarder
70 les tables voisines. Les gens la fascinent, c'est comme ça. Même cet énergumène10 qui s'essuie la bouche et se mouche dans