Adam smith
Jean Dellemotte, PHARE, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne1 Adam Smith est l’un des auteurs, dans l’histoire de la pensée économique en particulier et dans l’histoire de la pensée en général, dont l’oeuvre a été le plus déformée. Depuis plus d’un siècle, celle-ci est trop souvent caricaturalement résumée par quelques formulations chocs, consciemment ou involontairement sorties du contexte dans lequel elles ont été écrites, parfois brandies comme des slogans publicitaires par les spécialistes du « prêt-à-penser ». Ainsi en va-t-il de la célèbre métaphore de la « main invisible », qui sert encore de véhicule aux lieux communs les plus redoutables sur les bienfaits de l’économie de marché. Les interprétations généralement associées à la métaphore, censée symboliser tantôt le fonctionnement présumé harmonieux du « marché », tantôt la convergence spontanée des intérêts privés, le plus souvent les deux à la fois, continuent ainsi à être régulièrement diffusées, dans la presse économique, dans les manuels2, dans l’enseignement secondaire ou universitaire, voire dans nombre de travaux académiques, sans même qu’on prenne la peine de renvoyer au texte original de l’auteur, comme s’il était désormais superflu de l’avoir lu. En revenir aux écrits originaux, malgré la difficulté inhérente à leur interprétation, demeure alors la meilleure clé pour accéder à une pensée qui ne se laisse pas réduire à des schémas simplistes. Le premier constat est qu’Adam Smith n’a employé que trois fois l’expression « main invisible » dans l’ensemble de son œuvre publiée, qui rassemble un traité de philosophie morale, la Théorie des sentiments moraux3 (1759), un essai sur l’origine du langage (Considerations concerning the first formation of languages, publié en 1761), un ouvrage d’économie politique, l’Enquête sur la nature et les causes de la richesses des nations4 (1776), enfin un ouvrage publié en 1795 à titre posthume