Affliction de russel banks
Comme tous les grands romans (A la recherche du temps perdu, La Montagne magique, Don Quichotte, etc.), Affliction oppose deux mondes : l’ancien et le nouveau. Chaque personnage représente, subit, ou s’inscrit dans un de ces deux mondes : en gros ici, on voit bien qu’il s’agit de faire passer le village archaïque de Lawford dans le monde moderne, rentable, productif et capitaliste. La chasse au cerf revêt ici un aspect quasi-préhistorique que les pistes de ski supplanteront.
Wade possède un statut particulier : il ne s’inscrit dans aucun des deux mondes, il n’est à l’aise nulle part. Il trouve toujours à redire, à l’image de l’enseigne du café, qui ne lui convient pas, sans qu’il sache pour autant formuler ce qui le choque. Il ne chasse plus le cerf, il ne s'inscrit pas dans l'ordre traditionnel. Cependant il est chargé de maintenir l’ordre dans le village, c’est-à-dire l’ordre ancien. La scène où il bloque tout le monde devant l’école symbolise l’incapacité de Wade : en arrêtant le temps, il sème le désordre. Il n’est pas indifférent que la seule voiture qui sorte du rang en trombe à ce moment-là soit celle de la famille de Twonbley. Soit les capitalistes qui vont mettre la main sur le pays et qui n’ont certes pas de temps à perdre, bloqués par un flic bouseux qui ne sait plus décider, et à qui tout échappe. Révolté, Wade tentera de leur mettre une contravention qui lui reviendra naturellement comme un boomerang, comme la preuve dérisoire qu’il ne peut plus atteindre ces gens-là : il est littéralement dépassé et n’a pas intérêt à se tenir sur leur chemin.
Wade est le représentant d’une révolution qui n’aura pas lieu. Maltraité par l’ordre ancien, celui de son père excessivement brutal et de sa mère inexistante, il liquidera cet ordre-là. Mais il est incapable d’en créer ou du moins d’en concevoir un nouveau. Dans son isolement et son défaut d'imagination, tout ce qu’il trouve à tenter ressortit de la perpétuation :