Agrippa d'aubigné intro/conclu
Texte 1 : Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques
Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est entre ses bras de deux enfants chargée.
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers, puis à force de coups,
D'ongles, de poings, de pieds il brise le partage
Dont nature donnait à son besson l'usage ;
Ce voleur acharné, cet Esau malheureux
Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frère la vie,
Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui,
Ayant dompté longtemps en son coeur son ennui,
A la fin se défend, et sa juste colère,
Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.
Leur conflit se rallume, et fait si furieux,
Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme explorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Elle voit les mutins tous déchirés, sanglants,
Qui, ainsi que du coeur, des mains se vont cherchant.
Quand, pressant à son sein d'un amour maternelle,
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las
Viole en poursuivant l'asile de ses bras.
Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ;
Puis, aux derniers abois de sa proche ruine,
Elle dit, "Vous avez, félons, ensanglanté,
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ;
Or vivez de venin, sanglante géniture,
Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture."
Introduction Agrippa d’Aubigné est un auteur de la 2ème partie du 16ème siècle et est issus d’une famille calviniste. Ce siècle a été marqué par les guerres de religion entre catholiques et protestants. D’Aubigné, pris les armes aux côtés de Henry de Navarre qui