Aie un poéte
Ni de filer en douce.
Ça existe encore, des poètes ? Il y en a aujourd’hui plus que la terre n’en a jamais porté, hommes ou femmes, jeunes ou vieillard, parleurs ou chanteurs, faiseur de livres ou crieur des rues et je parie qu’il n’y a pas de lieu au monde, de l’Afrique au Groenland, de la Sibérie aux Caraïbes, qui n’ait ses poètes.
Vous voulez savoir à quoi ça ressemble, un poète ? Mon Dieu, à rien de particulier ! Ça ne se porte pas sur le visage pas d’uniforme et pas d’insignes à la boutonnière. Pas de diplôme et pas de médaille. C’est dedans que ça se passe. Si ça se reconnaît, c’est peut-être à une certaine façon de parler des choses, même les plus ordinaires : plus secrète, grave, plus étonné plus gourmands. En prononçant chaque mot comme s’il en valait mille, comme s’il vivait bien ce qu’il dit est aussi mille fois plus encore.
Des rêveurs ? Des songe-creux, des vagabonds, des pas-comme-les-autres, qui marche sur les eaux ou qui volent dans les nuages avec les oiseaux et les anges ? Alors là non, cette excuse, mais vous n’y êtes pas du tout un poète, ça fait ses courses et ça a mal aux dents, ça se soucie du chômage et du Sida. Et quand il écrit des poèmes, il parle des choses les plus banales, qui sont celles de tout le monde : ses doutes, de ses choix, de ses colères, de ses peurs, ses défaites, de ses étonnements, de son désir d’être autre chose, être autrement, de ce qu’il ne comprend pas, de fil de ce qu’il croit comprendre dans les instants de sa vie qui sont les instants de tout le monde. Non seulement le poète vit par ailleurs, dans un bon rêve lointain, mais il n’y a pas plus passionné, plus curieux de ce qui se passe en lui et autour de lui.
La différence, il y en a une, c’est qu’il prend le temps d’y penser, de s’interroger, d’en parler : comme un enfant qui s’arrête devant