Anthologie poétique sur le temps qui passe
PREFACE :
L'ennemi.
Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,Traversé çà et là par de brillants soleils ;Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
Voilà que j’ai touché l’automne des idées,Et qu’il faut employer la pelle et les râteauxPour rassembler à neuf les terres inondées,Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.
Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêveTrouveront dans ce sol lavé comme une grèveLe mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
- Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœurDu sang que nous perdons croît et se fortifie !
Charles Baudelaire, Les fleurs du Mal.
Assieds toi sur le bord.
Assieds-toi sur le bord d’une ondante rivière : Tu la verras fluer d’un perpétuel cours, Et flots sur flots roulant en mille et mille tours Décharger par les prés son humide carrière.
Mais tu ne verras rien de cette onde première Qui naguère coulait ; l’eau change tous les jours, Tous les jours elle passe, et la nommons toujours Même fleuve, et même eau, d’une même manière.
Ainsi l’homme varie, et ne sera demain Telle comme aujourd’hui du pauvre corps humain La force que le temps abrévie et consomme :
Le nom sans varier nous suit jusqu’au trépas, Et combien qu’aujourd’hui celui ne sois-je pas Qui vivais hier passé, toujours même on me nomme.
Jean-Baptiste Chassignet, Le Mépris de la vie.
Le pont Mirabeau.
Sous le pont Mirabeau coule la SeineEt nos amoursFaut-il qu'il m'en souvienneLa joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l'heureLes jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à faceTandis que sousLe pont de nos bras passeDes éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heureLes jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau couranteL'amour s'en vaComme la vie est lenteEt comme l'Espérance est violente