Anthologie sur l'amour tragique
Le désir amoureux atteint une intensité telle qu'aucun autre désir ne peut rivaliser avec lui en puissance. Avec une facilité déconcertante, il nous propulse dans l'obsession et l'exaltation ainsi que cela arrive à Cyrano de Bergerac, dans la scène du balcon (acte III scène 7 ; le texte intégral est disponible ici) : ivre de volupté, il déclare à Roxane : "Ton nom est dans mon coeur comme dans un grelot / Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne, / Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne ! / De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé. / Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai / Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !" Dans sa fièvre, Cyrano en dit trop : livrant ce détail, il oublie qu'il parle au nom de Christian, et qu'à l'époque de ce changement de toilette, Christian n'avait pas encore rencontré Roxane. Pourtant celle-ci, emportée par ce torrent d'éloquence, se pâme et ne s'aperçoit de rien.
Du fin’amor au fol amour, le chemin n'est pas long - surtout lorsque le sentiment a été longtemps tu, ou retenu, à cause de circonstances extérieures contraignantes (dans le cas de Cyrano, son complexe d'infériorité en raison de son nez qu'il juge laid et ridicule). L’amour impossible, éprouvé en silence, atteint des pics émotionnels incroyables - et remarquons qu'il s'agit d'une situation somme toute très confortable, quand on n'a pas encore la force et l'audace de quitter son armure. Cependant, même quand l’amour est possible, l’extrême intensité du sentiment amoureux se conjugue fréquemment à l'exclusif. L'opinion commune (et la loi prohibant la polygamie) estime volontiers qu'on ne peut aimer qu'une personne à la fois (nous avons déjà indiqué les nuances qu'il convenait d'apporter à cette thèse). Il faut aussitôt signaler le danger de cette exclusivité et son inévitable complément : la jalousie dévorante. L'amoureux exalté, tout à son bonheur, prend naturellement ses amis à témoin : il