Anthologie
La musique souvent me prend comme une mer ! Vers ma pâle étoile, Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther, Je mets à la voile; La poitrine en avant et les poumons gonflés Comme de la toile J'escalade le dos des flots amoncelés Que la nuit me voile ; Je sens vibrer en moi toutes les passions D'un vaisseau qui souffre ; Le bon vent, la tempête et ses convulsions Sur l'immense gouffre Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir De mon désespoir ! Les Fleurs du mal - Spleen et Idéal - Charles Baudelaire (1856)
Le baiser en l’Amour est l’octave en Musique Le baiser en l’Amour est l’octave en Musique,
Vous en avez prins un, et vous en voulez deux ;
Pourquoy enervez-vous les accords amoureux,
C’est pecher, disiez-vous, contre la Theorique. Non je ne baise point qu’en pure Arithmetique,
Respondis-je soudain, deux baisers savoureux
Font nombre, l’unité est un rien mal heureux
Payez moi, vous devez une chose Physique. Que vous estes mauvais, répliquâtes vous ors,
Qui pourroit resister à argumens si forts,
Qui me font succomber en si juste querelle ? Moi respondit Amour, et d’un dard furieux,
Qu’il trempa plusieurs fois aux flammes de voz yeux,
Il m’enfonça le coeur d’une playe immortelle. Abraham de VERMEIL,1555-1620.
Art poétique De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'impair, Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. Il faut aussi que tu n'ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l'Indécis au Précis se joint. C'est des beaux yeux derrière des voiles, C'est le grand jour tremblant de midi, C'est, par un ciel d'automne attiédi, Le bleu fouillis des claires étoiles ! Car nous voulons la Nuance encor, Pas la Couleur, rien que la nuance ! Oh ! la nuance