Antigone ou la culpabilité de l'innocence.
Il faut d'abord résumer le propos de Steiner: Kierkegaard avait lu Hegel, la Phénoménologie et l'Esthétique en particulier. Quelle est l'essence du tragique ? La responsabilité, l'acceptation de la culpabilité. Dans la tragédie antique, le héros subit le fatum et son action est de l'ordre épique: dans la tragédie moderne, celle d'une époque mélancolique et désespérée, la séparation où vivent les individus grégaires devrait engendrer la comédie, pourtant l'individu moderne accepte sa culpabilité dans ses actes: "le mal véritable, la culpabilité vraie, ne sont pas des catégories "esthétiques" mais "éthiques" (1). Selon George Steiner, Kierkegaard se donne pour projet de "montrer comment le caractère propre de la tragédie antique est repris dans la tragédie moderne et s'y incarne". Si la seule tragédie moderne parvient, par la réflexivité éthique du héros, à subordonner l'esthétique propre à l'antique, la dureté de l'éthique est tempérée par la "douceur du religieux". Kierkegaard verrait la mélancolie, la tristesse qui console, "que renferment l'art, la poésie et même la joie des Grecs de l'Antiquité." Tel serait le paradoxe de la "grâce tragique". À présent, il faut s'attacher au spectateur: compassion du spectateur antique et moderne, mise en scène de la culpabilité tragique à laquelle il réagit. Le spectateur antique ressent une peine véritable, le moderne une souffrance vraie. Ce qui les sépare est le concept et la présentation de la culpabilité. La peine des Grecs serait "douce et profonde" qui se déverse sur la souffrance du héros auquel les dieux ont donné ce destin tragique. Pour les modernes, la culpabilité nous est transparente: nous nous jugeons et nous souffrons.
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