Au coin de la rue l'aventure
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On s’est toujours ennuyé en voyage; la qualité seule de cet ennui a changé pour nous. Il y avait autrefois, dans l'abattement des longs trajets, une certaine intelligence du corps avec le tracé même de la route : véhiculé dans des capsules mal suspendues, le voyageur vivait, pour ainsi dire physiquement, les cicatrices du chemin, le cahot des fondrières et des trous. L'allure de la diligence, du fiacre, des premiers tortillards n'altérait pas le sentiment de la distance et des obstacles surmontés. Le parcours était aussi épreuve. Dans l'ennui des voyageurs modernes, il y a de la résignation : c'est que d'abord la haute technicité d'appareils plus performants et plus rapides dévalorise les moyens de transport traditionnels (en avion, j'y serais déjà, soupire le passager du train) ; et puis être assis dans un wagon ou une voiture, c'est n'être, à proprement parler, nulle part, sinon dans le pays du confort et du spectacle. Sur l'extérieur, les voyageurs n'ont qu'une perception inutile, il leur suffit d'admettre le paysage, il ne s'ensuivra aucune conséquence pour eux. Le dehors ne les touche pas : la vitre du train, le hublot de l'appareil découpent le monde comme un écran de télévision, film dont je suis le déroulement depuis mon siège. Voyageant, nous n'avons aucun droit à la vie des lieux traversés. Hors du temps et de l'espace, pure ligne sur une carte, nous appartenons à l'autoroute, à la voie ferrée ou au couloir aérien dont les tracés constituent un monde isolé et clos qui divise les hommes (d'où la fascination que provoque une panne de voiture, l'arrêt d'un train en rase campagne, comme si nous nous réveillions du long somnambulisme de la vitesse). (...)
Et le confort lui-même, qu'est-il, sinon l'oubli des particularités propres à chaque moyen de transport (tangage du bateau, balancement du train, tremblement de l'avion) au profit d'une insonorisation qui filtrent tout jusqu'aux odeurs, jusqu'aux rayons de soleil? Le pays de la vitesse est la patrie de