Aurevoir
Blanchot et la question du centre de l'oeuvre
Blanchot est l'un de ces auteurs dont l'oeuvre est difficile à saisir et même à regarder, parce qu'elle a tendance à vous imposer son rythme et ses points de vue, à vous imprégner de son langage, et en un sens à vous encercler; aussi nombre de ses commentateurs, de ses lecteurs, risquent-ils de ne rien faire d'autre que lui adjoindre des appendices inutiles et maladroitement mimétiques. Ce qui aggrave la difficulté est peut-être que les
commentateurs de Blanchot sont souvent soucieux d'identifier trop vite ce qui serait le centre de la pensée critique de Blanchot - une conception nouvelle de la littérature, disons - et dès lors de coïncider avec ce centre. Sans doute serait-il plus intéressant et plus éclairant de parvenir à désigner ce qu'il y a de singulier dans la démarche de Blanchot lecteur, critique, théoricien, et essayiste: à savoir justement la façon paradoxale dont il met la question du centre au centre de sa pensée, dont il centralise la question de la littérature, alors même qu'il rompt avec une conception - disons, aristotélicienne - de l'oeuvre comme composée et comportant un centre. En hommage aux Métamorphoses du cercle de Georges Poulet, dont Blanchot est finalement si proche, je voudrais tenter de décrire la métamorphose du centre qui s'opère dans son oeuvre.
Aristote a une conception poéticienne du centre, plus exactement du milieu (méson) de l'oeuvre. Il s'intéresse à la taille de l'oeuvre, à son étendue, à sa longueur, à sa perceptibilité par le
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spectateur
ou
l'auditeur.
Il
veut
que
l'oeuvre
soit
visible
synoptiquement (eusunopton, Poétique 1451a5). Sa longueur ne doit pas empêcher l'oeuvre d'être aisément embrassée par la mémoire (eumnèmoneuton) et donc d'apparaître tout entière au regard (sundèlos). Parce qu'elle a une taille, l'oeuvre (la tragédie,
essentiellement, qui sert de modèle) est un tout complet (holon), en même temps