Automne 79
- Ne t’endors pas !
La voix de son père lui revient. Ca secoue, la R16 cahote, les cannes ont glissé contre son épaule, c’est encore la nuit, Brassens chante.
…O vous, les arracheurs de dents, tous les cafards, les charlatans, les prophè-è-è-è-tes…
Il s’étire.
- On est où ?
- On arrive.
La vitre est pleine de buée. Il l’enlève, du doigt.
- Arrête ! ça marque.
- Pardon.
On est dans un chemin creux, avec des tiges des deux côtés, et des cailloux qui craquent sous les roues. Quelques feuilles mortes, tournées par le vent, dans le trait des phares. La voiture est comme une bulle, avec le souffle du chauffage, l’odeur des housses, les épaules du père, l’ami Brassens, une bulle de chaleur et de son dans un grand trou obscur.
- Regarde, dit son père, une buse !
- Où ?
- Là, sur la barrière !
Il se penche, mais le carreau ne lui renvoie que son reflet.
…si tu te couches dans mes bras, alors la vie te semblera - plus faci-i-i-i-le…
Au fond, l’horizon s’éclaire un peu, c’est un crépuscule à l’envers. On devine un relief.
- C’est le Puy-de-dôme ?
- Oui.
Le volcan étale sa silhouette double, on dirait une femme enceinte, avec la poitrine et le gros ventre. Par-dessus, un reste de lune rose, presque rouge.
- C’est comme dans Goldorak.
- Quoi ?
- La lune rouge. Dans Goldorak, Véga attaque quand la lune est rouge.
- Ah…
- Mais Actarus le sait, alors il est toujours prêt.
- Tu as vu ça chez Nounou ?
- Oui.
On ralentit. Quelques manœuvres, marche arrière, marche avant ; les tiges écrasées crissent sous le châssis. Le père se parque, coupe le contact. Brassens avale sa chique.
- Sors à droite, la barrière est trop près.
- Je peux pas, ya les cannes.
- Attends.
Le père s’extirpe, descend, vient ouvrir la porte arrière, prend besace, cannes et carnassière.
- C’est bon, tu peux sortir.

L’odeur de foin et de rosée saisit l’enfant. Quelques pas endormis dans le chemin. On y voit à peine.
- Il fait froid.
Le père sort la lampe de poche,