Bêtes sans patrie
La guerre à laquelle se livrent les « bêtes sans patrie » est atroce, ambiguë, jamais identifiée mais violemment énoncée. Inversion des rôles de victimes et bourreaux sans âge. Uzodinma Iweala raconte cette déstructuration, cette dissolution du libre arbitre, avec une empathie frénétique. Et un doute lancinant, obsédant : qui parle?
Agu raconte, avec une sincérité crue, son ascension, à son corps défendant, d'enfant soldat dans une de ces guerres qui ravagent l'Afrique. Car le pays, jamais nommé, nous rappelle encore plus violemment que ce déferlement d'horreurs et d'absurdités pourrait avoir lieu en Sierra Leone, au Liberia, en Côte d'Ivoire, au Congo... Agu pose la dérangeante question de la culpabilité des enfants dans un monde qui les dénature jusqu'à la folie, la schizophrénie ou le mutisme. Agu était un enfant normal avant la guerre, il allait à l'école, adorait lire, aidait ses parents. Et puis l'irracontable, une volonté irrépressible de meurtre : il accepte de massacrer les autres : "Je veux tuer ; je ne sais pas pourquoi. Je veux simplement tuer. D'un coup je vois on dirait c'est un animal devant moi, je veux le tuer." Endoctriné par ses supérieurs qui lui disent que c'est son "boulot de soldat», sans autre choix qu'obéir à un commandant pédophile qui lui martèle qu'il ne tue pas des êtres humains mais des animaux !
Tableau obscène d'une errance macabre où les enfants sont enrôlés pour servir de chair à canon, subir violence et rapports de force.
Récit incisif, précis, visuel, appel à la résistance contre l'anéantissement et la souffrance en silence. La ponctuation est rare, les mots disent les idées avec une cruelle naïveté.
La traduction magnifique d’Alain Mabanckou restitue et sublime la langue d'Uzodinma Iweala, faite de bruits et de silences. Pari osé de trouvailles linguistiques, néologismes et onomatopées qui collent à la musicalité du texte. Il donne à entendre le pidgin, cet «anglais pourri»,