Baudelaire-eloge du maquillage
Le peintre de la vie moderne (1863)
Extrait
§XI. ELOGE DU MAQUILLAGE
Il est une chanson, tellement triviale et inepte qu’on ne peut guère la citer dans un travail qui a quelques prétentions au sérieux, mais qui traduit fort bien, en style de vaudevilliste, l’esthétique des gens qui ne pensent pas. La nature embellit la beauté !
Il est présumable que le poète, s’il avait pu parler en français, aurait dit : La simplicité embellit la beauté ! ce qui équivaut à cette vérité, d’un genre tout à fait inattendu : Le rien embellit ce qui est.
La plupart des erreurs relatives au beau naissent de la fausse conception du dixhuitième siècle relative à la morale. La nature fut prise dans ce temps-là comme base, source et type de tout bien et de tout beau possibles. La négation du péché originel ne fut pas pour peu de chose dans l’aveuglement général de cette époque. Si toutefois nous consentons à en référer simplement au fait visible ; à l’expérience de tous les âges et à la Gazette des Tribunaux, nous verrons que la nature n’enseigne rien, ou presque rien, c’est-à-dire qu’elle contraint l’homme à dormir, à boire, à manger, et à se garantir, tant bien que mal, contre les hostilités de l’atmosphère. C’est elle aussi qui pousse l’homme à tuer son semblable, à le manger, à le séquestrer, à le torturer ; car, sitôt que nous sortons de l’ordre des nécessités et des besoins pour entrer dans celui du luxe et des plaisirs, nous voyons que la nature ne peut conseiller que le crime. C’est cette infaillible nature qui a créé le parricide et l’anthropophagie, et mille autres abominations que la pudeur et la délicatesse nous empêchent de nommer. C’est la philosophie (je parle de la bonne), c’est la religion qui nous ordonne de nourrir des parents pauvres et infirmes.
La nature (qui n’est pas autre chose que la voix de notre intérêt) nous commande de les assommer. Passez en revue, analysez tout ce qui est naturel, toutes les actions et les désirs du