Baudelaire l'Albatros, oral de français
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime en boitant, l'infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Lecture méthodique de ce poème extrait des Fleurs du Mal
Absent de l'édition de 1857, ce poème occupait la deuxième place dans l'édition de 1861. S'il reflète peut-être quelque lointain souvenir du voyage exotique effectué par Baudelaire dans sa jeunesse, l'oiseau est ouvertement allégorique dans le dernier quatrain en remplaçant le champ lexical maritime par celui de la difficile "marche sur le sol", terrestre et dénuée de toute fluidité. Une telle solidification qui a commencé dès le deuxième quatrain instaure donc une dégradation.
De ces 4 quatrains on ne retient souvent que le dernier où est énoncée, en conclusion, la thèse romantique de l'exclusion : en généralisant la difficile condition du poète au XIXè s., Baudelaire a la conscience douloureuse d'une marginalité subie, d'une mise au ban de la société (cf. sa biographie), de l'être infirme et bancal. Dans ce cas il "est semblable" à l'Albatros livré aux railleries des marins grossiers et brutaux. Cela implique une lecture rétrospective du poème : ce qui apparaissait, de prime abord, comme une personnification de l'oiseau se comprend maintenant comme une métaphore animale du poète. Avec "nuées", "tempête", "ailes de géant" situés au-dessus de "sur le sol", "empêchent