Les Romances sans paroles marquent un tournant décisif dans la carrière de Verlaine. Le recueil est en effet contemporain (1874) de l'orage personnel qui traverse sa vie en la personne de Rimbaud. Le poème intitulé « Beams », qui est extrait de la section « Aquarelles », ne garde nulle trace pourtant de cette tourmente. Tout auréolée de lumière, une femme énigmatique guide vers (ou sur ?) la mer une cohorte de soupirants fidèles. Cette évocation ne touche-t-elle pas au symbole ? Peut-on considérer ses éléments narratifs comme caractéristiques d'un apologue ? Nous montrerons d'abord que le poème se présente comme un récit simple et poétique, avant d'aller plus avant dans cette dimension symbolique. Un événement présenté comme vécu, daté, localisé au bas du poème, mais transfiguré sans doute par le souvenir et la création poétique, donne en effet naissance à une courte anecdote dans un splendide paysage marin. Nous distinguons d'abord sans peine un véritable schéma narratif que la structure du poème souligne nettement dans ses quatre strophes que commandent des temps verbaux différents. Les singulatifs de la première strophe ("elle voulut", nous nous prêtâmes") correspondent à une sorte d'état initial : le désir de la jeune femme de s'embarquer est aussitôt réalisé. La forme elliptique "et nous voilà marchant" indique , par le participe présent, l'accomplissement immédiat de l'action. Les deux strophes suivantes sont, au contraire, dominées par les itératifs : l'imparfait prête sa durée à la lente évocation d'une marche harmonieuse ("nos pas glissaient") ou à la douceur silencieuse du paysage ("des oiseaux blancs volaient", "de grands varechs filaient"). Enfin la dernière strophe nous fait retrouver le singulatif ("elle se retourna"; "elle reprit") qui traduit , après une brève inquiétude, la ferme décision de la marche. Les éléments qui composent ce paysage procurent ensuite un sentiment d'immensité heureuse, perceptible aussi bien dans le choix du