Bel amis
Les femmes, vues par Georges Duroy
Il avait dû alors venir presque tous les jours chez elle, tantôt déjeuner, tantôt dîner. Elle lui serrait la main sous la table, lui tendait sa bouche derrière les portes. Mais lui s'amusait surtout à jouer avec Suzanne qui l'égayait par ses drôleries. Dans son corps de poupée s'agitait un esprit agile et malin, imprévu et sournois, qui faisait toujours la parade comme une marionnette de foire. Elle se moquait de tout et de tout le monde, avec un à-propos mordant.
Georges excitait sa verve, la poussait à l'ironie, et ils s'entendaient à merveille. Elle l'appelait à tout instant :
" Écoutez, Bel-Ami. Venez ici, Bel-Ami. "
Il quittait aussitôt la maman pour courir à la fillette qui lui murmurait quelque méchanceté dans l'oreille, et ils riaient de tout leur cœur.
Cependant, dégoûté de l'amour de la mère, il en arrivait à une insurmon- table répugnance ; il ne pouvait plus la voir, ni l'entendre, ni penser à elle sans colère. Il cessa donc d'aller chez elle, de répondre à ses lettres, et de céder à ses appels.
Elle comprit enfin qu'il ne l'aimait plus, et souffrit horriblement.
Mais elle s'acharna, elle l'épia, le suivit, l'attendit dans un fiacre aux stores baissés, à la porte du journal, à la porte de sa maison, dans les rues où elle espérait qu'il passerait.
Il avait envie de la maltraiter, de l'injurier, de la frapper, de lui dire nettement :
" Zut, j'en ai assez, vous m'embêtez. " Mais il gardait toujours quelques ménagements, à cause de La Vie Française; et il tâchait, à force de froideur, de duretés enveloppées d'égards et même de paroles rudes par moments, de lui faire comprendre qu'il fallait bien que cela finît.
Elle s'entêtait surtout à chercher des ruses pour l'attirer rue de Constantinople, et il tremblait sans cesse que les deux femmes ne se trouvassent, un jour, nez à nez, à la porte.
Son affection pour Mme de Marelle, au contraire, avait grandi