Aloysius Bertrand, employant les données archéologiques ou historiques, déploya un décor de cathédrales, de flèches et de clochers gothiques, de donjons, de maisons à tourelles et pignons pointus, de carrefours et de venelles étranges ; fit défiler les sylphides, les gnomes et les fées, les démons incubes et succubes, les alchimistes, les sorciers, les moines et les turlupins, les soldats, les soudards, les hallebardiers, les cavaliers, les aventuriers, les brigands, les truands, les vagabonds, les béquillards, les nains, les lépreux et les fous ; les montra au cabaret ou à la procession, sous le soleil qui colore leurs haillons ou au clair de lune qui poétise leurs silhouettes ; évoqua avec une indéniable puissance la foule bigarrée des vieilles cités, les pendaisons et les suicides ; troussa en quelques paragraphes une scène de comédie ; narra une aventure plaisante ou terrible ; fit sourdre «le gargouillement burlesque de lazzi et de roulades» arraché à une viole bourdonnante «comme si elle eût au ventre une indigestion de comédie italienne» ; éprouva un plaisir d’orfèvre à employer des mots précieux, archaïques ou dialectaux («aiguail», «pourpris»), des néologismes impertinents («fanfarant»). Il fit preuve d’un art raffiné, minutieux. Tantôt, pour camper une silhouette, il retrouvait la sécheresse de Callot. Tantôt, penché sur sa phrase comme un sorcier sur ses cornues, il mélangeait savamment, à la manière de Rembrandt, le clair et l’obscur. Des impressions rares ouvrent au lecteur d’étonnants aperçus sur le monde du rêve. Il excella surtout dans l’art d’évoquer une vision qui se dissipe : Ondine s’évanouit en giboulées qui ruissellent blanches le long des vitraux et le corps de Scarbo bleuit, diaphane comme la cire d’une bougie, puis s’éteint. Il n’y a là ni psychologie, ni symbole, ni pensée, mais seulement des jeux d’ombre et de lumière, de la couleur et surtout un style précis, évocateur et qui stimule fortement l’imagination.
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