Médée
Tragédie de Thomas Corneille 1693
INTRODUCTION
"Un Gascon chez les morts depuis peu descendu Crioit là-bas comme un pendu : Le diable emporte la Médée Et le fat qui l'a composée ! En un mot il crioit si fort Que le grand Corneille et Quinault A grands pas vers lui s'avancent Et curieux lui demandèrent Ce que signifioient ces cris? C'est un chien d'opéra contre lequel je gronde Car il m'a fait sortir du monde. Vous y mourutes de plaisir? Non messieurs de par tous les diables ! Les vers étoient si détestables Que ce fut de douleur qu'ils me firent mourir ! Ce maudit opéra me donna la migraine Ensuite à mon oreille il causa la cangrène Si bien qu'il m'en fallut mourir Jugez si ce fut de plaisir ! Et le nom de l'auteur ? Il se nomme Corneille Ce fat dans tout Paris se promettoit merveille ! Quinault, tout stupéfait du discours du Gascon Dit alors à son compagnon : Seroit-ce point de vous quelque ouvrage posthume Qu'on auroit mis en opéra? Pour vous facher je ne dis point cela, Mais vous savez que la plus belle plume… Lorsque je partis de Paris Répond le grand Corneille Rien ne resta de mes écrits Qui ne fît peine à l'oreille. Mon frère est seul demeuré Dont la verve insipide Pourroit bien avoir procuré Un pareil homicide1."
Cette chanson satirique anonyme, comme toute bonne chanson du genre, résume en quelques mots certaines idées en vogue à cette époque. On y retrouve ainsi la comparaison entre les deux frères, qui tourne comiquement au désavantage du second. Quinault lui-même, pourtant inventeur de la tragédie en musique, n'a jamais entendu parler de son confrère,
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piteusement présenté dans la chanson, et Thomas Corneille apparaît complètement méconnu, ce qui est contredit en réalité par le fait même qu'il est pris comme cible de la satire. Quel intérêt en effet de se moquer d'un illustre inconnu? Cette image peu flatteuse du cadet du "grand Corneille", ainsi que l'appelait Thomas lui-même, si elle est peu courante de son vivant – Thomas