Ch. 3 Le lendemain, à son réveil, Emma a aperçu le clerc sur la place. Elle était en peignoir. Léon a levé la tête et l’a saluée. Elle a fait une inclination rapide et refermé la fenêtre. Léon attendait pendant tout le jour que six heures du soir soient arrivées ; mais, en entrant à l'auberge, il n’est trouvé personne que M. Binet, attablé. Ce dîner de la veille était pour lui un événement considérable; jamais, jusqu'alors, il n'avait causé pendant deux heures de suite avec une dame. On trouvait à Yonville qu'il avait des manières comme il faut . Il écoutait raisonner les gens mûrs, et ne paraissait point exalté en politique, chose remarquable pour un jeune homme. Puis il possédait des talents, il peignait à l'aquarelle, savait lire la clef de sol, et s'occupait volontiers de littérature après son dîner, quand il ne jouait pas aux cartes. L'apothicaire s’est montré le meilleur des voisins. Il a renseigné madame Bovary sur les fournisseurs, fait venir son marchand de cidre tout exprès et conclu un arrangement avec le sacristain Lestiboudois. Le besoin de s'occuper d'autrui ne poussait pas seul le pharmacien à tant de cordialité obséquieuse, et il y avait là-dessous un plan. Charles était triste : la clientèle n'arrivait pas. Il demeurait assis pendant de longues heures, sans parler, allait dormir dans son cabinet ou regardait coudre sa femme. Il était très heureux qu’Emma était enceinte. A mesure que le terme en approchait, il la chérissait davantage. Elle souhaitait un fils, mais a accouché une fille. Emma a choisi le nom Berthe pour sa fille, parce que c’était le nom de la marquise au château de la Vaubyessard; et comme le père Rouault ne pouvait venir, on a prié M. Homais d'être parrain. Un jour, Emma a été prise tout à coup du besoin de voir sa petite fille, qui avait été mise en nourrice chez la femme du menuisier ; et, sans regarder à l'almanach si les six semaines de la Vierge duraient encore, elle s'est acheminée vers la demeure