Camus par said
Albert Camus, ou l’inconscient colonial
Après L’Age des extrêmes, d’Eric Hobsbawm, le Monde diplomatique publie — cette fois avec Fayard — Culture et impérialisme, d’Edward W. Said. Dans ce livre, également inédit en français, le grand intellectuel américano-palestinien démontre comment l’œuvre majeure de grands écrivains occidentaux n’échappe pas à la mentalité coloniale de leur temps. Exemple : Albert Camus.
par Edward W. Said, novembre 2000
Albert Camus est le seul auteur de l’Algérie française qui peut, avec quelque justification, être considéré comme d’envergure mondiale. Comme Jane Austen (1) un siècle plus tôt, c’est un romancier dont les oeuvres ont laissé échapper les réalités impériales qui s’offraient si clairement à son attention. (...)
Camus joue un rôle particulièrement important dans les sinistres sursauts colonialistes qui accompagnent l’enfantement douloureux de la décolonisation française du XXe siècle. C’est une figure impérialiste très tardive : non seulement il a survécu à l’apogée de l’empire, mais il survit comme auteur « universaliste », qui plonge ses racines dans un colonialisme à présent oublié. (...)
Le parallèle frappant entre Camus et George Orwell (2), c’est qu’ils sont tous deux devenus dans leur culture respective des figures exemplaires dont l’importance découle de la puissance de leur contexte indigène immédiat qu’ils paraissent transcender. C’est dit à la perfection dans un jugement sur Camus qui survient presque à la fin de l’habile démystification du personnage à laquelle se livre Conor Cruise O’Brien, dans un livre qui ressemble beaucoup à l’étude de Raymond Williams sur Orwell (et paru dans la même collection, les « Modern Masters » (3).
O’Brien écrit : « Il est probable qu’aucun auteur européen de son temps n’a si profondément marqué l’imaginaire et aussi la conscience morale et politique de sa propre génération et de la suivante. Il était intensément européen parce