Camus
« Aucun artiste ne tolère le réel, dit Nietzsche. Il est vrai ; mais aucun artiste ne peut se passer du réel. La création est exigence d’unité et refus du monde. Mais elle refuse le monde à cause de ce qui lui manque et au nom de ce que, parfois, il est. La révolte se laisse observer ici, hors de l’histoire, à l’état pur, dans sa complication primitive » L’Homme Révolté |
« La politique est une pierre attachée au cou de la littérature » déclare Stendhal dans le Rouge et le Noir. La force de cette idée de l’attachement nous invite à nous interroger sur le lien qui unit la littérature et la politique, politique au sens de toute chose entrant en rapport avec la vie de la cité, et donc avec la vie et le réel en général. La « pierre » énonce l’idée d’un fardeau, mais l’attachement évoque lui une relation presque inaliénable entre les deux termes de l’expression. A cette interrogation Camus propose une réponse qu’il exprime dans l’Homme Révolté et qui prend forme dans l’ensemble de son œuvre. Au début de la section « Révolte et Art », il admet pour vraie l’idée nietzschéenne selon laquelle « aucun artiste ne tolère le réel », tout en la nuançant par la suite, annonçant que la création est à la fois « exigence d’unité et refus du monde », c'est-à-dire que le créateur refuse certains aspects du réel tout en en conservant nécessairement quelques uns, et que la création propose un nouveau monde qui n’est plus incohérent mais unifié. Cette unification qui « manque » au monde, Camus l’apparente à une révolte, qui malgré son inscription dans le réel n’est pas historique mais artistique et métaphysique, car dans l’Histoire cette révolte deviendrait révolution ; elle doit rester « à l’état pur » et anhistorique, autrement dit « primitif ». La réponse offerte par Camus à la tension entre art et politique et plus largement art et réel trouve donc son achèvement dans la proposition de la révolte, entre respect de certains aspects du monde et refus de