On ne saurait prêter à Ce que disait Alice un thème unique, tant le monde semble nous être livré dans son apparence globale et normale. Rejoignant à cet égard la nouvelle américaine, qui traite souvent des questions les plus profondes sous le couvert d'une banalité à peine accusée, Normand de Bellefeuille nous donne ici un recueil emblématique du genre de la nouvelle : une quotidienneté perçue à travers un kaléidoscope, une vision fragmentée et intimement personnelle du monde. « Or, c'est justement le travail de représentation, le découpage des images et des souvenirs qui fait tout l'intérêt de Ce que disait Alice. Il ne s'agit pas de porter un regard totalisant sur les choses, mais de choisir ce qui s'impose et persiste, ce dont on ne peut se détacher, et d'écrire sur ces images incoercibles » (Jean-François Chassay, « La circulation des formes », Spirale, octobre 1989, p. 4). Ces images posées sans emphase, d'un ton faussement détaché, créent un lien étroit entre le narrateur et le lecteur, proposant à ce dernier une projection, une identification dont les effets se font sentir d'une façon on ne peut plus retorse. Alors que l'on croit comprendre la réalité décrite, alors que la narration nous suggère de la faire nôtre, surgit un élément trouble, parfois même irrecevable, qu'on ne peut plus récuser et qui s'impose, comme une tare.
L'identité de la plupart des personnages de Ce que disait Alice, tracés sommairement, grossièrement, repose sur un trouble, une tension fort ambiguë qui les place toujours en situation de manque, de recherche, délibérée ou non, du plaisir. Réduits à céder à ce qu'ils ne connaissent pas encore d'eux mais qui les rend déjà singulièrement humains, on dirait que les personnages de ces nouvelles attendent l'assentiment de la réalité pour « être quelqu'un ». « Si le réel n'est jamais circonscrit, c'est aussi parce que le regard du narrateur s'éloigne toujours de son objet dans le temps ou l'espace, adoptant un angle de vue ou une