Charles baudelaire
Les Petits Poèmes en prose ou le problème de la poéticité
Texte de Soumaya Chaâbane
L
A PREMIÈRE LECTURE des Petits Poèmes en prose laisse une impression d’incompréhension plutôt désagréable. Ne retrouvant pas dans les poèmes la magie recherchée ni les critères esthétiques habituels de la poésie, le lecteur se sent quelque peu déconcerté. Il éprouve le plus souvent un sentiment de déception et d’amertume ; une question le préoccupe tout particulièrement : où est passée la poésie, en quoi ce recueil est-il poétique ? Cette déception est d’autant plus grande que le lecteur connaît le Baudelaire des Fleurs du mal, recueil
éminemment poétique. Cette réflexion aura précisément pour but d’apporter des éléments de réponse à ces questions. Il est tout à fait naturel de remettre en cause le statut poétique du recueil. En effet, on a à priori plutôt affaire à des récits brefs, à des essais, à des fables, à des nouvelles courtes qu’à des poèmes à proprement parler. On relève plusieurs passages qui nous poussent à nous interroger sur leur caractère poétique. Qu’y a-t-il de poétique dans cet extrait de « la corde » par exemple ? « Quels ne furent pas mon horreur et mon étonnement quand, rentrant à la maison, le premier objet qui frappa mes regards fut mon petit bonhomme, l’espiègle compagnon de ma vie, pendu au panneau de cette armoire ! Ses pieds touchaient presque le plancher ; une chaise, qu’il avait sans doute repoussée du pied, était renversée à côté de lui ; sa tête était penchée convulsivement sur une épaule ; son visage, boursouflé, et ses yeux, tout grands ouverts avec une fixité effrayante, me causèrent d’abord l’illusion de la vie. Le dépendre n’était pas une besogne aussi facile que vous le pouvez croire. Il était déjà fort roide, et j’avais une répugnance inexplicable à le faire brusquement tomber sur le sol ». (1) Et les détails macabres se poursuivent avec une narration rigoureuse et une description tout