tais. On avait fait l’amour avec une émotion particulière. Et puis, je me sentais… spéciale. J’ai accueilli la nouvelle avec une joie énorme. Aujourd’hui, j’ai du mal à suivre mon corps. J’ai sommeil, faim, des écoeurements soudains. Les gens me disent que c’est normal, mais au moment où on le vit, c’est sans recul. Ma mère m’a raconté qu’elle n’avait pas assez de lait, que je hurlais de faim. J’ai l’impression de revivre ça. La faim m’insécurise, la nourriture m’apaise. La nuit, je dors très mal. J’ai des idées noires. Je ne suis plus celle que je connais depuis trente-sept ans. Je me sens parfois comme une mutante avec un alien dans le ventre. Les échographies me rassurent. À la première, j’étais ébahie. J’ai pensé : “Ah, te voilà, toi !” Je l’ai trouvé très beau, une perfection en miniature. Lorsque je me décourage, son cliché me renforce. Par moments, je m’en veux de me sentir si mal. Je ne me trouve pas assez accueillante. Mes rondeurs me rappellent mes complexes d’adolescente. Mon homme aime mon corps, tant mieux. Le ventre tendu et bleui de celles dont la grossesse est plus avancée m’effraie. Je ne peux pas encore penser à l’accouchement, c’est trop tôt. Je peine déjà à réaliser que je fais un enfant. Souvent, je regarde mon homme et je lui dis : “Tu te rends compte, on fait un enfant…” En dépit de tout ça, l’émotion m’étreint. Puis d’autres angoisses me gagnent. Je voudrais être plus accomplie professionnellement. Comme si cette