Commentaire ciel brouillé
poème de Charles BAUDELAIRE
dans
‘’Les fleurs du mal’’
(1857)
On dirait ton regard d’une vapeur couvert ; Ton œil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?) Alternativement tendre, rêveur, cruel, Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel.
Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés, Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés, Quand, agités d’un mal inconnu qui les tord, Les nerfs trop éveillés raillent l’esprit qui dort.
Tu ressembles parfois à ces beaux horizons Qu’allument les soleils des brumeuses saisons… Comme tu resplendis, paysage mouillé Qu’enflamment les rayons tombant d’un ciel brouillé !
Ô femme dangereuse, ô séduisants climats ! Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas, Et saurai-je tirer de l’implacable hiver Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer?
Commentaire
Ce poème de quatre quatrains d’alexandrins fut inspiré à Baudelaire par sa maîtresse, Marie Daubrun. Il fut séduit en particulier par ses yeux qui lui paraissaient mystérieux. Elle occupa dans sa vie une place difficile à cerner, car il oscilla entre la tendresse et la ferveur, l'animalité pure et l'adoration mystique. Le cycle de poèmes qu’il lui consacra est marqué par des constantes : les regards mouillés, les yeux qui reflètent un ciel pâle, une impression de climat tiède, dans la brume.
Et, en effet, ici, le poète évoque d’abord les regards, les yeux de cette femme à laquelle il s’adresse par utilisation de la deuxième personne du singulier. Puis il passe, par une véritable correspondance, dès la deuxième strophe, à une ambiance à la fois climatique et psychologique. À la troisième strophe, il passe à un paysage. Enfin, la dernière strophe mêle la «femme» et les «climats».
La description du regard de cette femme, donnée dans le premier vers, coïncide avec celle que le critique du ‘’Mercure des théâtres’’, dans son compte rendu de ‘’La nouvelle Héloïse’’ (1er octobre