Commentaire
L’hiver vint, l'hiver normand, froid et pluvieux. Les interminables averses tombaient sur les ardoises du grand toit anguleux, dressé comme une lame vers le ciel. Les chemins semblaient des fleuves de boue; la campagne, une plaine de boue; et on n'entendait aucun bruit que celui de l'eau tombant; on ne voyait aucun mouvement que le vol tourbillonnant des corbeaux qui se déroulait comme un nuage, s'abattait dans un champ, puis repartait. Vers quatre heures, l'armée des bêtes sombres et volantes venait se percher dans les grands hêtres à gauche du château, en poussant des cris assourdissants. Pendant près d'une heure, ils voletaient de cime en cime, semblaient se battre, croassaient, mettaient dans le branchage grisâtre un mouvement noir. Elle les regardait, chaque soir, le cœur serré, toute pénétrée par la lugubre mélancolie de la nuit tombant sur les terres désertes. Puis elle sonnait pour qu'on apportât la lampe; et elle se rapprochait du feu. Elle brûlait des monceaux de bois sans parvenir à échauffer les pièces immenses envahies par l'humidité. Et elle avait froid tout le jour, partout, au salon, aux repas, dans sa chambre. Elle avait froid, jusqu'aux os, lui semblait-il. Son mari ne rentrait que pour dîner, car il chassait sans cesse, ou bien s'occupait des semences, des labours, de toutes les choses de la campagne.
Il rentrait joyeux et crotté, se frottait les mains, déclarait :
- Quel fichu temps !
Ou bien :
- C’est bon d’avoir du feu !
Ou parfois il demandait :
- Qu’est-ce qu’on dit aujourd’hui ? Est-on contente ? (...)
Extrait de Première Neige, Maupassant, nouvelle parue le 11/12/1883 dans le Gaulois.
Maupassant et la date doivent évoquer le roman naturaliste.