Conscience du corps
Les stimulations de toutes sortes auxquelles nous sommes aujourd’hui exposés se conjuguent à une image du corps qui, nourrie par les médias, fait de notre propre corps, soumis à l’anxiété, une source de mécontentement croissant. Ce livre soutient qu’une meilleure conscience du corps peut nous aider à résoudre ce genre de problèmes, augmenter nos connaissances, améliorer notre agir et intensifier nos plaisirs. Le corps vivant et sentant (que j’appelle sôma pour le distinguer du corps comme simple matérialité inerte) constitue le médium fondamental et inaliénable de la perception, de l’action et de la pensée. Pourtant, les philosophes (y compris ceux qui défendaient le corps) ont longtemps dénigré toute focalisation sur les sentiments et mouvements corporels, considérant l’absorption en soi comme une distraction préjudiciable, voire comme une forme de corruption morale. Je tenterai donc de réfuter ces accusations, en me penchant sur les philosophies somatiques les plus importantes du siècle passé, et en utilisant les apports des disciplines, tant occidentales qu’asiatiques, qui se sont attachées au corps-esprit en tant que tel. Mon but n’est donc pas de ressasser les inextricables débats ontologiques concernant les rapports du corps et de l’esprit, mais d’imprimer une direction nouvelle à l’étude philosophique du nœud crucial qu’ils forment: il m’a paru fructueux de porter le débat sur un terrain pragmatique, en soulignant les liens puissants, mais négligés, entre la philosophie de l’esprit, l’éthique, la théorie politique, ainsi que les dimensions esthétiques propres à la vie quotidienne. J’espère par conséquent montrer qu’un traitement adéquat du corps-esprit doit prendre en compte les contextes sociaux et culturels qui façonnent le sôma, mais aussi qu’à l’inverse, le sôma peut contribuer à modifier la société et la culture.
Dans ce livre, je développe une philosophie que j’appelle «soma-esthétique»: ce projet est né de mes