ACTE I , Scène première Valère, Sabine
Valère. — Hé bien ! Sabine, quel conseil me donneras-tu ?
Sabine. — Vraiment, il y a bien des nouvelles. Mon oncle (Gorgorius ) veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin, et les affaires sont tellement avancées que je crois qu’ils eussent été mariés 1 dès aujourd’hui, si vous n’étiez aimé ; mais comme ma cousine m’a confié le secret de l’amour qu’elle vous porte, et que nous nous sommes vues à l’extrémité 2 par l’avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d’une bonne invention pour différer 3 le mariage. C’est que ma cousine, dès l’heure que je vous parle, contrefait la malade 4 ; et le bon vieillard, qui est assez crédule 5, m’envoie quérir 6 un médecin. Si vous en pouviez envoyer quelqu’un qui fût de vos bons amis, et qui fût de notre intelligence 7, il conseillerait à la malade de prendre l’air à la campagne. Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine à ce pavillon 8 qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen vous pourriez l’entretenir 9 à l’insu de notre vieillard, l’épouser, et le laisser pester tout son soûl 10 avec Villebrequin.
Valère. — Mais le moyen de trouver sitôt un médecin à ma poste 11, et qui voulût tant hasarder 12 pour mon service ? Je te le dis franchement, je n’en connais pas un.
Sabine. — Je songe une chose : si vous faisiez habiller votre valet en médecin ? Il n’y a rien de si facile à duper que le bonhomme.
Valère. — C’est un lourdaud qui gâtera tout ; mais il faut s’en servir faute d’autre. Adieu, je le vais chercher. Où diable trouver ce maroufle 13 à présent ? Mais le voici tout à propos.
Molière, Le Médecin volant
1. ils auraient été mariés 8. petite maison dans un jardin, un parc
2. nous avons atteint une situation qui n’est plus supportable 9. lui parler
3. retarder 10. autant qu’il le veut
4. fait semblant d’être malade 11. qui me convienne
5.