Corps jousse
Jousse aimait à citer ce propos de son maître Janet qui disait: « L'action dépend à la fois du cerveau et du muscle. En réalité, l'homme pense avec tout son corps; il pense avec ses mains, ses pieds, ses oreilles aussi bien qu'avec son cerveau[1] .» La question du corps occupe, de fait, une place tout à fait centrale dans les recherches, l'oeuvre et l'enseignement de l'auteur de L'Anthropologie du Geste et il l'a signalé et répété lui-même à de très nombreuses reprises. Ainsi, dans la leçon du 3 mars 1933 qu'il donnait à l'Ecole d'Anthropologie de Paris, Jousse pouvait-il déclarer: « Quand on étudie la pensée humaine, on ne fait jamais appel à ce qui en a été le centre de jaillissement: le corps[2] ». Or, il semble qu'un philosophe tout à fait considérable contemporain de Jousse, à savoir Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), se soit livré dans son oeuvre, et notamment dans son grand livre de 1945 intitulé Phénoménologie de la perception à un travail très analogue de réhabilitation et de remise au centre du corps dans l'appréhension de la pensée humaine. Les deux penseurs sont morts la même année (1961) mais, à ma connaissance, ils n'ont jamais eu l'occasion ni de se lire ni de se rencontrer. Je voudrais donc ici tenter de donner quelques éléments pour mettre en scène, de manière posthume, ce dialogue qui n'a pas eu lieu et la question du corps m'a semblé la meilleure porte d'entrée pour donner moins des résultats qu'une esquisse d'un programme de recherche visant à tisser des liens entre l'anthropologie du geste joussienne et la phénoménologie du corps merleau-pontyenne. Je m'appuierai en priorité sur L'Anthropologie du geste pour Jousse et sur la Première Partie de la Phénoménologie de la perception pour Merleau-Ponty. Il s'agira donc ici de faire dialoguer Jousse avec un philosophe de la tradition dite « phénoménologique », tradition à laquelle Jousse, à ma connaissance, ne s'est jamais intéressé de près mais avec