Corpus
PRÉFACE DE L’ÉDITION ORIGINALE
L’auteur de ce recueil n’est pas de ceux qui reconnaissent à la critiquele droit de questionner le poète sur sa fantaisie, et de lui demanderpourquoi il a choisi tel sujet, broyé telle couleur, cueilli à tel arbre, puisé àtelle source. L’ouvrage est-il bon ou est-il mauvais ? Voilà tout le domainede la critique. Du reste, ni louanges ni reproches pour les couleursemployées, mais seulement pour la façon dont elles sont employées. A voir les choses d’un peu haut, il n’y a, en poésie, ni bons ni mauvais sujets,mais de bons et de mauvais poètes. D’ailleurs, tout est sujet ; tout relève del’art ; tout a droit de cité en poésie. Ne nous enquérons donc pas du motif qui vous a fait prendre ce sujet, triste ou gai, horrible ou gracieux, éclatantou sombre, étrange ou simple, plutôt que cet autre. Examinons comment vous avez travaillé, non sur quoi et pourquoi.Hors de là, la critique n’a pas de raison à demander, le poète n’a pas decompte à rendre. L’art n’a que faire des lisières, des menottes, des bâillons ;il vous dit : va ! et vous lâche dans ce grand jardin de poésie, où il n’y a pasde fruit défendu. L’espace et le temps sont au poète. Que le poète donc ailleoù il veut, en faisant ce qui lui plaît ; c’est la loi. Qu’il croie en Dieu ou auxdieux, à Pluton ou à Satan, à Canidie ou à Morgane, ou à rien, qu’il acquittele péage du Styx, qu’il soit du sabbat ; qu’il écrive en prose ou en vers, qu’ilsculpte en marbre ou coule en bronze ; qu’il prenne pied dans tel siècle oudans tel climat ; qu’il soit du midi, du nord, de l’occident, de l’orient ; qu’ilsoit antique ou moderne ; que sa muse soit une muse ou une fée, qu’elle sedrape de la colocasia ou s’ajuste la cotte-hardie. C’est à merveille. Le poèteest libre. Mettons-nous à son point de vue, et