Nous avons maintenant une assez bonne connaissance de l’histoire des inégalités de revenus en France au 20ème siècle. Cette histoire se caractérise par une succession complexe de phases de compression et de phases d’élargissement (dont la plus récente se déroule dans les années 1980-1990), et certainement pas par une tendance « naturelle » et « spontanée » à la réduction des inégalités, contrairement aux prédictions de la « courbe de Kuznets ». En particulier, les inégalités de salaires, au delà des multiples fluctuations de court et moyen terme, ont été extrêmement stables en France au 20ème siècle. La seule transformation structurelle notoire concerne l’effondrement et la non-reconstitution des très hauts revenus du capital, et, même si tout semble indiquer qu’il s’agit bien d’un phénomène économique réel et non pas d’une illusion fiscale, le fait important est que cette évolution ne ressemble en rien à un processus économique « naturel » et « spontané » : l’effondrement des très gros patrimoines porte la marque des crises éminemment politiques de la période 1914-1945, et le fait que ces fortunes n’aient jamais retrouvé le niveau astronomique qui était le leur au début du siècle semble s’expliquer par l’impact de l’impôt progressif sur le revenu sur l’accumulation et la reconstitution de patrimoines importants, impôt progressif dont le but a d’ailleurs toujours été de taxer lourdement les strates supérieures du centile supérieur de la hiérarchie des revenus, et non pas les « classes moyennes » (supérieures ou non), dont la position vis-à-vis de la moyenne des revenus a toujours été considérée comme légitime. Qu’en a-t-il été dans les autres pays développés ? Les évolutions observées en France sont-elles le produit d’une histoire nationale spécifique ? La « courbe de Kuznets » n’aurait-t-elle jamais existé ? Telles sont les questions auxquelles ce chapitre tente de répondre. Précisons d’emblée que nous n’avons pas cherché à réaliser dans le cadre de ce livre de