Cours dse cassation 1932
Messieurs,
« Le plus précieux et le plus rare de tous les biens est l'amour de son état [1]», d’Aguesseau le proclamait sur la fin d'une carrière qu'il avait honorée et à laquelle il avait consacré sa vie. Vous aussi, vous avez affirmé l'exactitude de la pensée, et « l'amour de notre état » vous a conduits à choisir une profession dans laquelle vous étiez assurés de ne rencontrer jamais ni la fortune ni la gloire, jaloux seulement de continuer les traditions d'honneur, de science et d'impartialité de la magistrature française. Nulle part que dans votre compagnie, ces traditions ne sont plus anciennes et plus illustres ; j'espère ne pas lasser votre attention en vous en retraçant à grands traits l'esquisse ; vous voudrez bien excuser ma présomption en abordant un sujet aussi vaste, aussi riche d'enseignements, et ne voir à tout le moins, dans cette brève étude, qu'une preuve de mon respectueux attachement à votre Cour et l'expression de ma gratitude pour l'indulgence de l'accueil que vous avez bien voulu m'y réserver.
Vous êtes, messieurs, les héritiers d'un passé illustre et dans bien peu d'institutions humaines il serait possible de retrouver, autant que dans la nôtre, l'influence prépondérante et directe de nos grands prédécesseurs.
Au milieu de vos délibérations, ce sont bien souvent « les morts qui parlent », qui commandent par l'autorité de la raison, autorité plus impérieuse que celle d'un maître et à laquelle, pour reprendre le mot de Pascal, « on ne peut désobéir sans être un sot ». « Nous ne travaillons jamais seuls, disait mon collègue Durand, l'an dernier, et vous êtes beaucoup plus que quinze dans chacune de vos chambres ; tant d'autres collaborent à l'arrêt qui va se rendre ! »[2]. Pensée profonde qui explique toute la continuité de votre œuvre, collaboration précieuse du passé et du présent ; celui-là enseignant les règles fondamentales de la loi, les éléments philosophiques et historiques qui