Criton
La seule question que se posait Criton était celle de savoir comment organiser la fuite de Socrate, et comment le persuader de s’enfuir. Pour Socrate le problème est tout autre : il n’est pas « Comment s’enfuir ? », mais « Faut-il s’enfuir ? », ou plus précisément « Est-il juste de s’enfuir ? ».
La réponse à une telle question suppose que l’on définisse l’attitude à suivre par rapport à des principes eux-mêmes définis de manière permanente et nécessaire, valables quelles que soient les circonstances, et non inventés sur le moment, en fonction des intérêts du moment. Socrate pose ici le problème de la fidélité à soi-même et de sa propre cohérence.
« Il nous faut donc examiner si nous devons faire ce que tu proposes, ou non ; car ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est de tout temps que j’ai pour principe de n’écouter en moi qu’une seule voix, celle de la raison qui, à l’examen, me semble la meilleure. » Criton 46a
D’où pouvons-nous tirer ces principes ?
a) Ces principes ne peuvent être fondés sur l’opinion (doxa : l’opinion du grand nombre, de la multitude).
Cette opinion en effet est une pensée non réfléchie, non raisonnée qui se fonde sur les apparences, sur les impressions, sur l’émotion. Elle est de l’ordre du ressenti, pensée soumise au hasard, simple amusement ou bavardage ; elle relève plus du plaisir de parler que de la rigueur de la pensée.
C’est une pensée changeante, une opinion influençable et versatile. Elle peut être unanime et passionnée dans le moment et inverse dans le moment qui suit. Elle voudra tout aussi bien ressusciter Socrate après l’avoir mis à mort.
« Quant aux considérations que tu allègues […] je crains bien qu’elles ne soient celles de ces gens qui vous font mourir à la légère, et qui vous ressusciteraient s’ils en avaient le pouvoir, sans plus de réflexion. » 48c
Ce qui caractérise donc cette opinion c’est sa diversité, d’un moment à l’autre, d’un homme à l’autre,