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[Lucien de Rubempré. un jeune poète, a quitté Angoulême, sa ville natale, pour tenter sa chance à Paris. Il y rencontre un journaliste, Etienne Lousteau, qui lui fait découvrir la vie nocturne parisienne. Dans cet extrait, ils sont au « Panorama Dramatique », une salle de spectacle de médiocre qualité.] Etienne et Lucien perdirent un certain temps à errer dans les corridors et à parlementer avec les ouvreuses1. – Allons dans la salle, nous parlerons au directeur qui nous prendra dans sa loge. D'ailleurs je vous présenterai à l'héroïne de la soirée, à Florine. Sur un signe de Lousteau, le portier de l'Orchestre prit une petite clef et ouvrit une porte perdue dans un gros mur. Lucien suivit son ami, et passa soudain du corridor illuminé au trou noir qui, dans presque tous les théâtres, sert de communication entre la salle et les coulisses. Puis, en montant quelques marches humides, le poète de province aborda la coulisse, où l'attendait le spectacle le plus étrange. L'étroitesse des portants2, la hauteur du théâtre, les échelles à quinquets3, les décorations si horribles vues de près, les acteurs plâtrés4, leurs costumes si bizarres et faits d'étoffes si grossières, les garçons à vestes huileuses, les cordes qui pendent, le régisseur qui se promène son chapeau sur la tête, les comparses5 assises, les toiles de fond suspendues, les pompiers, cet ensemble de choses bouffonnes, tristes, sales, affreuses, éclatantes ressemblait si peu à ce que Lucien avait vu de sa place au théâtre que son étonnement fut sans bornes. On achevait un bon gros mélodrame6 intitulé Bertram, pièce imitée d'une tragédie de Maturin qu'estimaient infiniment Nodier, lord Byron et Walter Scott7, mais qui n'obtint aucun succès à Paris. – Ne quittez pas mon bras si vous ne voulez pas tomber dans une trappe, recevoir une forêt sur la tête, renverser un palais ou accrocher une chaumière, dit Etienne à Lucien. Florine est-elle dans sa loge, mon bijou ? dit-il à une actrice