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Quand paraissent en 1669 les Lettres portugaises, personne ne doute de leur authenticité, tant leur sincérité est convaincante. Ces cinq lettres sont adressées par une religieuse portugaise à un officier français qui l’a séduite et abandonnée. On sait aujourd’hui qu’elles étaient l’œuvre d’un écrivain par ailleurs peu connu, Guilleragues, inspiré sans doute par de véritables correspondances. L’œuvre se présente comme un roman épistolaire à une seule voix, où se fait entendre le tourment d’une âme habitée par les désordres de la passion amoureuse.
Je ne sais pourquoi je vous écris, je vois bien que vous aurez seulement pitié de moi, et je ne veux point de votre pitié ; j’ai bien du dépit contre moi-même, quand je fais réflexion sur tout ce que je vous ai sacrifié : j’ai perdu ma réputation, je me suis exposée à la fureur de mes parents, à la sévérité des lois de ce pays, contre les religieuses, et à votre ingratitude, qui me paraît le plus grand de tous les malheurs : cependant, je sens bien que mes remords ne sont pas véritables, que je voudrais du meilleur de mon cœur avoir couru pour l’amour de vous de plus grands dangers et que j’ai un plaisir funeste d’avoir hasardé ma vie et mon honneur ; tout ce que j’ai de plus précieux ne devait-il pas être à votre disposition ? Et ne dois-je pas être bien aise de l’avoir employé comme j’ai : il me semble même que je ne suis guère contente ni de mes douleurs ni de l’excès de mon amour, quoique je ne puisse, hélas ! Me flatter assez pour être contente de vous ; je vis, infidèle que je suis, et je fais autant de choses pour conserver ma vie que pour la perdre. Ah ! J’en meurs de honte : mon désespoir n’est donc que dans mes lettres ? Si je vous aimais autant que je vous l’ai dit mille fois, ne serais-je pas morte, il y a longtemps ? Je vous ai trompé, c’est à vous à vous plaindre de moi hélas ! Pourquoi ne vous en plaignez-vous pas ? Je vous ai vu partir, je ne puis espérer de vous