Doit on se mefier de toutes nos croyance
La dynamique de ce passage est fondée sur le retournement, le schéma de l’inversion, qu’il s’agisse du statut de Tirésias, dont la cécité est normalement une métaphore et une garantie de sa clairvoyance, ou de la condition d’Œdipe, le sage et l’ultime recours qui est aveugle à son destin. Ce que Sophocle met ici en scène, c’est l’essentielle obscurité du sens et du destin. Sont confrontés dans cet agôn, Œdipe qui jouit de la vue et qui se trompe en tout point (les yeux ouverts, qui ne voient pas 413), et Tirésias l’aveugle clairvoyant.
1) L’obscure lucidité d’Œdipe : le retournement et le jeu des faux semblants
– Œdipe se trompe dans l’interprétation des propos de Tirésias en relevant ce qu’il croit être les faux semblants de l’apparence : il rabat les paroles de T. sur une dimension psychologique (l’envie, la jalousie) ou sociale (l’ambition de Créon). Ainsi celui qui était un ami (Créon) se retourne en ennemi, et le sage Tirésias en charlatan : Créon se livre à des menées souterraines, il intrigue, il soudoie (384) et Tirésias, espèce de sorcier, charlatan retors, aveugle dans son art (387) est pour Œdipe un véritable aveugle, un aveugle complet, au physique comme au moral. Mais
– Œdipe est le véritable aveugle : tes yeux sont ouverts et tu ne vois pas… (413)
– Œdipe se trompe sur lui-même, quand il croit sa ruse (qui lui a permis de triompher de la sphynge) supérieure à la tèchnè de Tirésias, qui est à la fois divination et science du langage : cette dernière dimension de l’art divinatoire lui est totalement obscure : les énormités de cet individu (429) ; propos délirants (433) ; mots couverts, énigmatiques (439).
– Œdipe se trompe sur la portée de ses actes : croyant sauver la cité de la sphynge (443) il a attiré la peste sur elle.
– Il a vu une chance là où se trouvait sa malédiction (ibid.). Du statut de juge, il passe à celui d’accusé.
2) La cécité clairvoyante de Tirésias (le clerc obscur !)