Le dollar, vecteur de la puissance américaine depuis 1945. Malgré les aléas des années 30, en particulier la dévaluation massive de 1934 (ou grâce à elle ?), le dollar était déjà la moins affaiblie de toutes les grandes monnaies à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il est évident qu’en 1945, tous les « fondamentaux » qui déterminent habituellement la force d’une monnaie jouaient dans le même sens pour faire du dollar la devise souveraine : grâce surtout à leurs exportations, les Etats-Unis possédaient les deux tiers de l’or monétaire mondial, accumulant par là des réserves de change qui semblaient inépuisables. L’inflation, ce mal qui ronge les monnaies en temps de guerre, était assez bien contrôlée : l’indice des prix, base 100 en 1939, n’atteignait pas 130 en 1945. Non seulement la productivité de l’appareil industriel américain dépassait celle des concurrents, mais, en outre, elle ne cessait de progresser plus vite dans ce milieu des années 40. Le sentiment de force que le dollar inspirait venait aussi de sa rareté relative. C’était le fameux « dollar gap » (absence de dollars) : le monde entier avait besoin des produits américains, donc de dollars pour les payer, alors même que les Etats-Unis n’avaient guère besoin de grandchose du reste du monde et ne dépensaient pas à l’étranger ces fameux dollars, dès lors introuvables dans les circuits économiques habituels. Une monnaie est aussi l’expression d’une situation stratégique – la livre sterling était forte en 1914 parce que l’or mondial venait se réfugier en Angleterre, à l’abri de la Home Fleet (partie de la flotte britannique chargée de la défense des îles britanniques). Raymond Aron a montré que les Etats-Unis disposaient désormais de l’insularité stratégique – Canada et Mexique n’« existant » pas sur le plan militaire –, au moment même où la marine de guerre américaine régnait sur les océans du monde. Ce facteur a très longtemps joué, tout au long de la guerre froide en particulier, en faveur de la