dossier
UNE VIE EN MARGE
30 ans de dialogue avec des irrécupérables
L'Express-Méditerranée : Vous vous êtes occupé successivement d'enfants difficiles, de jeunes délinquants, d'arriérés mentaux. Chaque fois, à travers des expériences très neuves et délibérément vécues en marge. Au fond, d'Armentières, dans le Nord, à Monoblet, dans les Cévennes, votre ambition n'a peut-être été que d'apporter, comme vous le dites, « un peu d'eau fraîche au vieux moulin libertaire ».
Dans quel milieu familial a pu germer cette volonté ?
Fernand Deligny : Cette volonté ? Il ne faudrait pas s'y méprendre. C'est maintenant que je parle d'une position « libertaire ». Cette volonté dont vous parlez, c'est bien à mon insu qu'elle s'est manifestée et je n'arrête pas de chercher ce que peut bien vouloir dire ce mot-là que j'ai trouvé un jour accolé à mon nom.
Cela dit, mon grand-père était capitaine des douanes et mon autre grand père, instituteur. Le père du capitaine des douanes était douanier et secrétaire d'une section anarchiste, par là haut dans les Ardennes. Ma mère, quand elle était petite, connaissait les tournées prévues par les douaniers; alors, elle faisait signe avec une lanterne aux fraudeurs, quand c'était le moment de passer. Mon père s'est fait tuer - j'allais dire comme tout le monde - à la guerre, en 1917. Il n'était pas parmi les déserteurs. Il était lieutenant dans l'infanterie. Ses frères avaient fait carrière et semi-fortune dans la mercerie. Alors moi, il fallait que je sois officier. Mon parrain me payait des cours d'escrime et d'équitation. Mon grand-père me faisait travailler le soir, à la maison. J'ai eu, je crois, les prix d'excellence et tous les premiers prix jusqu'en sixième. J'en ressentais une honte qui me chauffe encore les joues.
L'Express-Méd. : Votre mère était d'accord sur cette carrière d'officier ?
F. Deligny : Elle n'en disait rien. J'étais le Deligny de service, le seul héritier mâle. Il devait y avoir un héritage