Ecriture d'invention chap 19 candide
« Imaginez le discours que pourrait prononcer Candide, s'il était un peu plus mûr et sûr de lui, devant une assemblée de planteurs du Surinam, pour dénoncer l'esclavage. Vous utiliserez toutes les ressources de l'éloquence et du registre oratoire
Messieurs,
Vous représentez ici tout ce qui compte au Surinam ; vous possédez des terres immenses ; vous êtes puissants, riches, respectés. Vous avez laissé la vieille Europe, pour venir sur ce continent défricher des terres nouvelles. Pour les exploiter, vous avez fait venir une main d'œuvre africaine arrachée de sa terre natale avec de fausses promesses d'un avenir meilleur. J'ai rencontré ce matin l'un de ces hommes. Un homme ? Oui Messieurs, quoique j'eusse quelque peine à reconnaître un de mes semblables dans l'être décharné, mutilé, presque nu, que je rencontrai à la porte de votre ville. Un être humain doté comme vous de la parole ; un être humain mû par des sentiments ; un être humain capable de raisonner. J'ai été honteux, Messieurs ; oui, honteux qu'il ait pu me prendre pour l'un des vôtres, qu'il m'ait manifesté le respect craintif qu'engendre la peur des mauvais traitements ; honteux de mon teint clair et de mes yeux bleus ! Ces êtres qui sont vos esclaves et auxquels vous niez la qualité d'homme, sauf dans les discours hypocrites de vos prédicateurs, ces êtres que vous comptez dans votre cheptel avec vos bœufs et vos mules, vous leur faites subir un traitement plus brutal encore qu'à vos bêtes de somme. Car enfin, couperiez-vous une jambe à votre mule si elle cherchait à s'échapper ? Si vous donnez ces châtiments pour l'exemple, n'est-ce pas parce que vous reconnaissez en vos esclaves des volontés capables de se rebeller contre vous, capables de prendre votre place ?
Ces esclaves sont des hommes, Messieurs, des hommes au même titre que vous. Rendez-leur leur dignité, cessez de les maltraiter, faites-en des hommes libres, d'honnêtes travailleurs, rémunérés