En attendant godot temps et espace
Alain Robbe-Grillet décrivait ainsi le décor de la mise en scène de Roger Blin : « Le décor ne représente rien, ou à peu près – une route ? – mettons, d’une façon plus générale : dehors. La seule précision notable est constituée par un arbre, chétif, à peine un arbuste
– et sans la moindre feuille – mettons : un squelette d’arbuste. »7
Bernard Levy et son scénographe Giulio Lichtner font deux choix délibérés de couleur et de forme : la grisaille et l’arrondi.
Le paysage lunaire, cendré, de Godot offre un camaïeu de gris avec lequel s’accordent les costumes gris, noirs et blancs de Didi et Gogo. La grisaille rend d’autant plus drôle les vains efforts de Vladimir qui tente de réveiller les souvenirs de Gogo.
« VLADIMIR – Tout de même, tu ne vas pas me dire que ça (geste) ressemble au
Vaucluse ! (…)
ESTRAGON (plus calme) – C’est possible. Je n’ai rien remarqué.
VLADIMIR – Mais là-bas tout est rouge ! »8
Dans cette uniformité décolorée la route traverse l’espace en diagonale, venant de nulle part et n’allant nulle part. Tout concorde à la perte des repères, à l’effacement et à la dissolution. Cet espace indifférencié s’inscrit dans une demi-arène grâce au fond de scène cylindrique qui évoque la piste du cirque. L’horizon fermé s’illumine à la tombée du jour d’un fin rai de lumière, comme une guirlande d’ampoules qui décorerait un chapiteau. Le cirque est bien présent dans cette mise en scène. Pozzo, avec son fouet qui claque, joue les dresseurs de chevaux ou de fauves. Lors de la création de la pièce au début des années 1950, les critiques ont souvent relevé cet aspect circassien.
Si nous sommes au cirque, nous, spectateurs, avons aussi notre rôle à jouer. Le dispositif scénique englobe le public et dépasse le vase clos de la fiction :
« ESTRAGON – Endroit délicieux. (Il se retourne, avance jusqu’à la rampe, regarde vers le public) Aspects riants. »9
De même les personnages créent un espace de fiction qui