Epicure vainqueur de la religion
Lucrèce, De la Nature, 1, v. 62-83
Alors qu'aux yeux de tous l'humanité traînait sur terre une vie abjecte, écrasée sous le poids d'une religion dont le visage, se montrant du haut des régions célestes, menaçait les mortels de son aspect horrible, le premier, un Grec, un homme, osa lever ses yeux mortels contre elle, et contre elle se dresser. Loin de l'arrêter, les fables divines, la foudre, les grondements menaçants du ciel ne firent qu'exciter davantage l'ardeur de son courage, et son désir de forcer le premier les portes étroitement closes de la nature. Aussi l'effort vigoureux de son esprit a fini par triompher ; il s'est avancé loin au delà des barrières enflammées de notre univers ; de l'esprit et de la pensée il a parcouru le tout immense pour en revenir victorieux nous enseigner ce qui peut naître, ce qui ne le peut, enfin les lois qui délimitent le pouvoir de chaque chose suivant des bornes inébranlables. Ainsi la religion est à son tour renversée et foulée aux pieds, et nous, la victoire nous élève jusqu'au ciel. À ce propos, j'éprouve une crainte : peut-être vas-tu croire que tu t'inities aux éléments d'une science impie, que tu t'engages dans la voie du crime. Au contraire, c'est le plus souvent la religion elle-même qui enfanta des actes impies et criminels.
Trad. A. Ernout, © Les Belles Lettres, CUF, 1920
I la critique de la religio
Association des dieux aux fables (fama) et aux phénomènes naturels (foudre et tonnerre) qui sont autant d'obstacles à la progression de l'esprit humain, parce qu'ils le paralysent (compressit) de terreur ; d'où l'exploit d'Épicure, souligné par la répétition de nec au v. 7. Fama renvoie à l'enseignement fallacieux de la mythologie dénoncée comme des «fantaisies mensongères »créant chez les hommes une représentation effrayante des dieux. Fulmina... murmure : désignations métonymiques usuelles du pouvoir de Jupiter ; dans leur ignorance, les hommes interprètent ces