Baudelaire montre ainsi toute sa volonté de « démystifier » la sensibilité romantique. En ce sens Les Fleurs du Mal expriment une extraordinaire prise de conscience de la vraie nature du fait poétique. On a souvent répété que le recueil était une œuvre construite, avec un commencement et une fin, mais on a rarement perçu dans l’esthétique des Fleurs du Mal l’affirmation d’un ordre fondé sur la « domination du hasard », sur une conception claire et rationnelle de l’art. Les Fleurs du Mal détruisent la forme idéale donnée par les écrivains romantiques précédents aux sentiments, notamment au sentiment amoureux, pour exposer la dure réalité, vue par un artiste ayant perdu toute illusion, au lecteur : les ailes de l’albatros-poète l’ « empêchent de marcher », il est impossible au poète d’atteindre « l’air supérieur » et de comprendre « le langage des fleurs et des choses » qui sont de toute façon « muettes » (on le voit dans l’Albatros ou Elévation). N’est-ce pas également Baudelaire qui a comparé l’acte d’amour à une opération chirurgicale ?
L’ouvrage est aussi un défi à la société bourgeoise bien-pensante et une peinture de l’ordre social entier, qui va entraîner la condamnation de cette œuvre définitivement maudite. Baudelaire aurait pu répondre pour sa défense lors du procès que « tous les imbéciles de la bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots ‘immoral, immoralité, moralité dans l’art’ et d’autres bêtises me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois au Louvre (…) demandait devant les statues et les tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences. » Le recueil a pour but de montrer la « beauté du mal » et le « mal dans la beauté », il rejette même la religion, dans Le reniement de Saint-Pierre ou encore Le mauvais moine, dénonce la pure beauté dans le poème du même nom (« Je suis belle (…) comme un rêve de pierre »), vante la Douleur et la Mort (« C’est la mort qui