Erving goffman
Horia LAZAR
S’il fallait caractériser l’état actuel des choses, je dirais que c’est celui d’après l’orgie. L’orgie, c’est tout le moment explosif de la modernité, celui de la libération dans tous les domaines. Libération politique, libération sexuelle, libération des forces productives, libération des forces destructives, libération de la femme, de l’enfant, des pulsions inconscientes, libération de l’art [...]. Aujourd’hui, tout est libéré, les jeux sont faits, et nous nous retrouvons collectivement devant la question cruciale : que faire après l’orgie ?1
Depuis la Renaissance, l’humanité vit, pourrait-on dire, en état de libération perpétuelle. Les péripéties de cette libération nous ramènent, de manière incontournable, au destin et à la signification de la valeur. Dans L’échange symbolique et la mort, Baudrillard évoquait déjà les trois stades de la valeur : le stade naturel de la valeur d’usage, le stade marchand de la valeur d’échange et le stade structural de la valeur-signe2. Trois états d’une réalité unique, auxquels correspondent les trois ordres de simulacres : la contrefaçon ou simulacre de premier ordre, qui joue sur la loi naturelle de la valeur, depuis la Renaissance jusqu’à la révolution industrielle ; la production, simulacre de deuxième ordre, qui est le schème dominant de l’âge industriel, et la simulation, le simulacre de troisième ordre, qui gouverne la phase actuelle de l’humanité, régie par le code.
L’avènement de la contrefaçon (et de la mode avec elle) à l’époque de la Renaissance est contemporain de l’institution du signe arbitraire. Dans les sociétés de castes, archaïques ou féodales, les signes avaient une diffusion restreinte. Protégés par des interdits d’essence cérémonielle, ils liaient les personnes par une réciprocité inaltérable, dans une transparence où l’on retrouve la présence du référent réel ou d’une nature exclusive d’autres, s’affirmant dans son étrangeté radicale. La