Espaces du feminin
Christophe Martin
Des jardins de Félonde dans le Pharsamon de Marivaux à lElysée de Julie dans La Nouvelle Héloïse, le roman du dix-huitième siècle semble accorder une place éminente à des lieux nouant des liens privilégiés avec le féminin, au point que deux dentre eux soient devenus de véritables emblèmes du siècle: le sérail et le boudoir. A partir dun corpus de plus de soixante-dix romans, on cherche à comprendre cette insistance des espaces du féminin dans limaginaire des Lumières en postulant quelle renvoie à une société confrontée à la découverte de lespace familial.
On tente dabord de dessiner les frontières de cette géographie romanesque du féminin. Lexamen des différents liens unissant corps et décors féminins conduit à une typologie des sites de ce territoire, puis à une analyse des métaphores faisant du corps féminin le lieu dune exploration. Suit une approche politique de ces espaces, lieux dun rapport de force qui prend essentiellement deux formes: le fantasme dune effraction dans lintimité féminine et celui dune claustration du corps féminin. Cette pulsion ne se conçoit guère sans une hantise secrète que les textes de Rousseau mettent en lumière: la crainte dun empire du féminin faisant peser sur les hommes une menace de féminisation. Doù la nécessité dune nouvelle économie des relations entre les sexes. C’est sur cette perspective économique que s’achève ce travail: l’économie domestique prônée par Rousseau s’oppose, en effet, aux économies érotiques de la pluralité (le monde libertin, le sérail despotique). Ces deux modèles antagonistes suscitent en leur marge des économies parallèles qui réactivent le fantasme dune autosuffisance de la sphère féminine. Autour des espaces du féminin dans le roman des Lumières, c’est donc le principe même de la différence sexuelle qui se