etudier
Pourtant, cette conclusion ne va pas de soi : je présuppose que, comme elle est sensation du même objet, la sensation est identique et que, par conséquent, ce sont mes goûts qui se sont modifiés. Mais « en réalité, il n'y a ni sensations identiques, ni goûts multiples » : chaque perception est singulière et à nulle autre pareille. Si je peux extraire de sensations en soi différentes une forme abstraite (la saveur de la madeleine en général), c'est parce que je les rapporte à un même objet désigné par un nom commun (la madeleine). Le simple fait de nommer me fait oublier la singularité des choses. Il me fait oublier également la singularité de chaque sensation de ces choses elles-mêmes singulières, pour en faire quelque chose d'invariable.
Cette « influence du langage sur la sensation », du reste, s'atteste également dans une autre expérience quotidienne : « quand je mange d'un mets réputé exquis », cette réputation s'interpose entre ma sensation et moi-même et m'incite à la trouver plus plaisante qu'en réalité je ne la trouve. Bref, le mot appauvrit le monde à mesure qu'il le nomme : il ne retient à chaque fois de chaque chose que les traits les plus saillants, de chaque sensation que les caractères les plus stables et les plus communs. Il perd la singularité des choses et dilue dans la généralité les fugaces impressions des consciences