Excipit en attendant godot
Beckett a souhaité appliquer à la littérature le phénomène de dépouillement radical qui a conduit la peinture moderne vers l’abstraction : la dramaturgie doit renoncer à tout processus narratif, aux repères conventionnels que sont l’espace orienté et le temps linéaire, et le langage enfin doit se réduire à sa fonction phatique – il s’agit de parler pour parler, de dire n’importe quoi pour maintenir un semblant de communication.
En attendant Godot enchaîne deux actes très similaires, comme des variations musicales sur le même thème, une mélodie minimaliste où des personnages aux noms multicolores et vaguement ridicules (Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky), au passé indéterminé, se rencontrent et dialoguent sans but précis, en attendant vainement un énigmatique Godot. À la fin du premier acte, apprenant par un messager que Godot ne pourra pas venir, Estragon et Vladimir ont déjà envisagé de se pendre et/ou de se quitter pour de bon, sans rien faire au bout du compte. Décidant que ces hommes sans passé, à l’existence d’automates, n’ont pas non plus de futur, n’ayant ni mémoire ni projets, le dramaturge met fin au second acte de manière globalement identique, dans un ressassement psychotique des mêmes velléités d’en finir, des mêmes échecs pitoyables, qui font penser à l’anti-destin dérisoire de clowns sans public.
2. Un théâtre en voie de pétrification
Trois accessoires de fortune rythment cette dernière scène : un arbre en carton (au premier acte, il paraissait mort, et il possède subitement quelques feuilles au second), « un bout de corde » (l. 17), et un pantalon « beaucoup trop large » (l. 27), comme si la scénographie voulait inciter les troupes de théâtre à prononcer un vœu de pauvreté. Beckett choisit délibérément ce qu’il peut trouver de moins spectaculaire possible, pour atteindre le squelette nu de l’activité théâtrale, la forme la plus proche d’une abstraction de théâtre.
Dans ce dénuement matériel, on peut néanmoins