XXVIII
LE SERPENT QUI DANSE

Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur !

EXPOSE SUR LES FLEURS DU MAL DE BAUDELAIRE
XXVIII. LE SERPENT QUI DANSE

Situation

Le livre se constitue de 6 parties différentes et ce poème se situe dans la première partie, intitulée ''Spleen et Idéal''. Le spleen baudelairien se caractérise comme étant le profond sentiment de découragement, d'isolement, et d'ennui. Quant à l'idéal baudelairien, il se caractérise par l'inconnu, la découverte, ce qui vient d'ailleurs--> le voyage, et la mort. Comme nous allons le voir, le poème du serpent qui danse est un poème de l'Idéal.

Lecture

Motif

Baudelaire a écrit ce poème pour Jeanne Duval, qui était sa maîtresse. On sait très peu de choses sur elle et sur sa vie : on ne connait pas sa date de naissance, ses aspects physiques ne sont pas clairs. On sait qu'elle est noire ou métisse, et que le poète la surnommait sa Vénus noire. Elle a aussi tenu quelques petits rôles au théâtre de la Porte-Saint-Antoine, et va inspirer beaucoup de poèmes à