Extrait d eprimo levi
Nous étions six à récurer et nettoyer l’intérieur d’une citerne souterraine. La lumière du jour ne nous parvenait qu’à travers l’étroit portillon d’accès. C’était un travail de luxe car personne ne nous surveillait, mais il faisait froid et humide. La poussière de rouille nous brulait les yeux et nous laissait dans la bouche et la gorge comme un gout de sang. L’échelle de corde qui pendait du portillon oscilla : quelqu’un venait. Deutsch éteignit sa cigarette, Goldner réveilla Sivadjan ; tout le monde se remit à racler énergiquement la sonore paroi de tôle.
Ce n’était pas le Vorarbeiter, ce n’était que Jean, le Pikolo de notre Kommando. Jean était un étudiant alsacien(…) Jean parlait couramment le français et l’allemand. Jean était très aimé au Kommando. Il joignait à la ruse et à la force physique des manières affables et amicales : tout en menant avec courage et ténacité son combat personnel et secret contre le camp et contre la mort, il ne manquait pas d’entretenir des rapports humains avec ses camarades moins privilégiés. Pour lui, parler en français ou en allemand, c’est la même chose ? Oui, c’est la même chose, il pense aussi bien dans les deux langues. Il a passé un mois en Ligurie, il aime l’Italie, il voudrait apprendre l’italien. Moi Je serai content de lui donner quelques leçons(…) Le chant d’Ulysse. A savoir comment et pourquoi cela m’est venu à l’esprit. Jean est tout ouïe (…) J’y suis, attention Pikolo, ouvre grands tes oreilles et ton esprit, j’ai besoin que tu comprennes :
« Considerate la vostra semenza Fatti non foste a viver come bruti Ma per seguir virtute e conoscenza » Et c’est comme si moi aussi j’entendais ces paroles pour la premières fois : comme une sonnerie de trompettes comme la voix de Dieu. L’espace d’un instant, j’ai oublié qui je suis et où je suis. Pikolo me prie de répéter. Il est bon, Pikolo, il s’est rendu compte